Depuis les années 2000, les artistes de théâtre, de cirque, d’opéra ou de marionnette convient l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, les robots ou le cybernetic organism dans la poïétique et praxis de leurs créations. Cette mutation implique une redéfinition des notions de figuration, d’incarnation et de statut du corps, en scène et en salle. Quel qu’en soit la qualité de présence, l’usage et le contexte, ces médiums intelligents soulèvent des questionnements entre l’animé et l’inanimé, le vivant et le robot, l’image et l’avatar, l’humain et le transhumain, leurs représentations et réceptions. La présence de cette nouvelle intelligence sur les scènes contemporaines est si significative, que plusieurs craignent l’effacement de l’humain et du vivant au plateau. Mais comment qualifier une création de « spectacle vivant » si celle-ci ne fait pas appel au vivant ? Peut-on alors encore parler d’ « art vivant » si la définition et le dispositif – à savoir, par exemple, la co-présence physique des praticiens et des spectateurs, la co-construction dans l’instant de territoires nouveaux et instables, la création d’un espace communautaire partagé – qui l’accompagnent sont brisés ? Ne sommes-nous pas en train d'atteindre la limite du « bio-pouvoir » et du « bio-politique » définis par Foucault et repris ensuite par Agamben ? À une époque où notre vision du monde est devenue télé-objective, Paul Virilio s'interroge lui sur le « comment résister efficacement à la soudaine déréalisation d’un monde où tout est vu – déjà vu et instantanément oublié ». C’est à partir de ces réflexions, que nous nous demanderons si l'utilisation intelligente et intermédiale de ces médiums intelligents, à des fins artistiques, ne permettrait pas de repenser l’esthétique et la dramaturgie du spectacle vivant, d’en créer une autre dimension sensible, de réveiller les fantômes des théâtres, de dévoiler le vivant enfoui, voire de renouer avec un non-public. Dès lors, il ne s’agit plus uniquement de s’interroger sur l’utilité, la fonctionnalité et le confort que nous offrent ces intelligences, mais d’élargir ces débats aux questions politiques, sociologiques, économiques et éthiques qu’elles suscitent.