Cécile OTTOGALLI-MAZZACAVALLO, ambassadrice scientifique de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Photo de Cécile OTTOGALLI, amabssadrice de la Fête de la Science 2023 pour la région Auvrgne-Rhône-Alpes
Crédits : FDS AURA

Cécile Ottogalli-Mazzacavallo est maîtresse de conférences à l’UFR STAPS de l’Université Lyon 1. Elle est spécialiste d’histoire du sport et d’études sur le genre. Ces travaux traitent des inégalités d’accès, de traitement et de reconnaissance à l’égard des femmes dans le mouvement sportif et des stratégies d'émancipation d’hier à aujourd’hui. Elle est la fondatrice d’un parcours de master, inédit en France, en études de genre appliquées au sport : Egal’APS (https://egalaps.univ-lyon1.fr).

Elle est ambassadrice de la Fête de la science 2023 pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Cécile Ottogalli-Mazzacavallo s’engage pour « les oubliées de l'histoire »

Pourquoi faire des recherches sur le sport ?

Le sport est un terrain propice à de nombreuses questions de recherche à l’aune des différentes sciences. Grâce aux sports, on peut étudier le corps en action, les interactions avec l’environnement social, culturel, politique mais aussi le sport lui-même (évolution, démographie, économie, technique et technologie, etc.) comme n’importe quel autre fait de société.

Par exemple, au sein du Laboratoire sur les Vulnérabilités et l'Innovation dans le Sport (L-VIS), une quarantaine de chercheurs et chercheuses travaillent sur le rôle des sports dans la production ou la réduction des vulnérabilités humaines (qu’elles soient liées aux maladies, aux milieux à risques, au genre et/aux sexualités, aux ressources psychologiques, etc.) mais aussi sur les innovations technologiques ou sociales permettant de minimiser ses vulnérabilités (par exemple des dispositifs d’inclusion sociale par le sport). Bref, ils et elles travaillent sur les conditions sociales de la production de « performance » sportive au sens large.

Dans le cadre de la Fête de la science, le laboratoire donnera à voir des travaux en cours sur les usages du numérique dans le sport (outils vertueux ou non ?), sur les questions de sécurité lors des grands événements sportifs, sur la grande enquête nationale sur les pratiquants et pratiquantes de sport en France et bien sûr sur les questions de genre dans le sport.

Précisément, vous vous intéressez en particulier aux sportives. Est-ce récent ?

Pendant longtemps, les femmes en général et les sportives en particulier ont été les « oubliées de l’histoire » pour reprendre cette formule de Michelle Perrot. Effectivement, les recherches portaient plus souvent sur un pratiquant type (jeune homme, blanc, bourgeois, urbain, hétérosexuel) que sur les femmes et / ou les minorités. Le focus était restreint et invisibilisait les femmes.

Les recherches sur les sportives émergent en France à la fin des années 1990 et se développent très récemment ! Elles restent encore largement sous-investies, comme un angle mort, dans le champ des sciences du sport.

Quelles sont les principales inégalités auxquelles les sportives sont confrontées ?

On peut résumer les inégalités à l’œuvre dans le milieu sportif, mais aussi dans d’autres domaines, en trois grandes catégories :

  • Les inégalités d’accès. Les sportives n’ont pas eu accès à certaines disciplines jusqu’à très récemment mais aussi à de grandes compétitions internationales comme les Jeux Olympiques ou les Championnats du Monde. Par exemple, les footballeuses n’ont pas pu se licencier à la FFF jusqu’en 1970 et les boxeuses n’ont pu accéder aux JO qu’en 2012. Aujourd’hui, les inégalités d’accès concernent surtout les métiers du sport et les fonctions de dirigeants.
  • Les inégalités de traitement. Pendant longtemps (et encore aujourd’hui ?), les sportives étaient considérées comme un « sous-produit » du mouvement sportif. Le mouvement sportif investissait souvent moins pour elles, elles avaient moins d’équipement ou des créneaux horaires, des conditions matérielles et d’encadrement moins bonnes. Sans parler des inégalités de salaire et d’accès aux sponsors. Nombreux sont les travaux attestant du maintien de ces inégalités encore aujourd’hui.
  • Les inégalités de reconnaissance. Ce déficit de reconnaissance peut porter sur la valeur financière qu’on accorde aux sportives mais aussi sur leur valeur symbolique. Trop de gens pensent que le sport pratiqué par des femmes “vaudrait moins” que celui pratiqué par les hommes alors que les femmes produisent des performances extraordinaires et des spectacles tout à fait dignes d’intérêt. Certains réduisent même les femmes à leur attractivité sexuelle ou voudraient qu’elles présentent des attributs de « la » féminité désirable comme s’il n’y en avait qu’une.

La recherche sur le sport permet de comprendre autrement les rapports de pouvoir qui se jouent entre les femmes et les hommes et qui se retrouvent dans d’autres espaces sociaux : comment les inégalités se construisent, sont justifiées et entretenues par les uns, combattues par les autres, quelles sont les modalités de l’action publique face à ces inégalités ?

Que manque-t-il actuellement pour lutter efficacement contre ces inégalités ?

À l’occasion de la Coupe du Monde féminine de football en 2019, j’ai coordonné une étude d’impact et héritage au sein du laboratoire L-VIS. L’un des axes de l’étude étudiait les politiques mises en place par les collectivités territoriales des villes hôtes en matière de sport pour les femmes.

La recherche a permis de constater que ces collectivités avaient très peu de données objectives sur les pratiques sportives des femmes.

Elles disposaient parfois du ratio hommes / femmes des licenciés mais n’avaient pas de données sur les budgets distribués vers la pratique des femmes, alors qu’il s’agit d’argent public et que les femmes participent elles aussi aux impôts. Il n’y avait pas non plus de données sur la répartition sexuée de la communication que ces collectivités mettaient en œuvre, sur la distribution horaire des équipements sportifs, sur l’usage des équipements de proximité dans la ville (alors que des enquêtes ont montré qu’en fait ils servaient majoritairement aux hommes), sur le ratio F/H parmi les encadrants sportifs, sur les violences sexistes et sexuelles, etc.

Ces données sont pourtant importantes pour mener une action publique plus équitable et de vérifier que les subventions servent bien à l’objectif qui leur est donné. On a donc besoin d’organismes neutres et de bonnes méthodologies en sciences humaines et sociales pour, à la fois, produire de la donnée quantitative sur plusieurs indicateurs mais aussi de la donnée qualitative pour sonder les processus à l’œuvre et dont les chiffres ne rendent pas forcément compte.

À titre d’exemple, des politiques publiques imposent la parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives françaises en 2024. Cela semble positif mais si on creuse un peu, on se rend compte que la plupart du temps, les femmes occupent des postes de moindre pouvoir décisionnel. En clair, elles sont plus souvent secrétaires que présidentes !

Membres de l'équipe de France féminine de football, Coupe du monde 2019

Y a-t-il des points communs selon vous entre la pratique d’un sport et le métier de scientifique ?

Personnellement, j’y vois dans l’un comme l’autre des espaces où s’exerce la division sexuée du travail. Dans ces deux mondes, les femmes sont minoritaires et minorées. En France, les femmes représentent 38,3% des licenciés sportifs. Un large panel d’activités sportives est investi par les hommes et certaines d’entre elles sont même de vrais bastions de masculinité qui comptent plus de 80% d’hommes. Peu de sports sont majoritairement investis par les femmes et lorsqu’ils le sont, ils sont souvent déclassés socialement, tout comme dans les disciplines scientifiques. Ainsi, dans ces deux mondes, on constate une diminution progressive des femmes à mesure qu’on gravit les échelons. Dans la recherche, certains domaines scientifiques (comme l’aérospatial, l’énergie nucléaire et les technologies du transport et du numérique) recrutent très peu de femmes.

Enfin, la recherche peut avoir en commun avec le sport un certain idéal de l’excellence - ce qui n’est pas sans la production d’effets de concurrence entre les acteurs et actrices du système, les organisations pas toujours compatibles avec le bien-être et l’efficacité au long terme des individus.

Dans le milieu de la culture scientifique, on évoque souvent la nécessité de stimuler l’engagement des jeunes femmes dans des études et des carrières scientifiques. Qu’en est-il des jeunes sportives ?

La question des conditions d’engagement dans une pratique, quelle qu’elle soit, est une grande thématique. Il existe de nombreux travaux sur ce thème en sciences humaines et sociales, notamment en sociologie, où l’on tente d’apprécier le rôle des différentes parties prenantes (on parle d’agents) de cet engagement.

La famille via ses encouragements, ses attendus, ses normes éducatives à destination des enfants est bien sûr un levier important de ces (dés)engagements dans le sport comme dans les études scientifiques. Beaucoup de sportifs de haut niveau ont des parents investis, des familles sportives. À l’inverse, les socialisations familiales, notamment dans les milieux populaires, sont réticents à l’égard de la pratique sportive de leurs filles. Mais cela ne fait pas tout.

L’école, via l'Éducation Physique et Sportive (EPS) ou le sport scolaire, est souvent identifiée comme un levier positif pour découvrir, s’initier à un sport, notamment pour les jeunes filles, avant de prolonger son engagement sportif de façon régulière, hors de l’école. Le développement du handball ou du badminton doivent beaucoup à l’école. Pour autant, l’EPS est aussi un espace où se reproduisent, malheureusement, des stéréotypes de genre et des logiques de domination.

Dans les clubs se posent également les mêmes questions autour des conditions d’accueil, de l’équipement et encadrement mis à disposition, des relations sociales tissées entre les femmes et les hommes, etc. Si les jeunes filles rencontrent beaucoup de propos sexistes et bénéficient de peu de moyens, il ne faut pas s’étonner si elles se désengagent à un moment où les contraintes scolaires, professionnelles ou familiales se renforcent. Enfin, plus largement, les collectivités territoriales et les politiques publiques nationales font partie de ces agents socialisateurs qui peuvent, par les décisions politiques qu’ils prennent, encourager ou au contraire dissuader des jeunes filles de pratiquer un sport.

En résumé, sport et science sont des faits de société qui participent à l’instruction, l’éducation et par conséquent l’émancipation des individus… mais qui, si on n’y prête pas explicitement attention, n'échappent pas aux logiques de domination présentes dans notre société.

En quoi votre rôle d’ambassadrice de la Fête de la science est-il important pour vous ?

Ce rôle est important pour diffuser auprès des publics les résultats de nos recherches. Le savoir doit circuler et sortir de nos laboratoires. Pour ma part, je suis attentive à montrer que les résultats sportifs ne relèvent pas uniquement d’une sorte d’évidence des capacités physiques mais de processus plus complexes relatifs aux conditions sociales de production de la performance. Il m’importe notamment de rendre visible les anonymes de l’histoire. Je suis également heureuse d’incarner ces croisements entre sport et sciences, en tant que femme, scientifique et sportive. J’assume les multi-casquettes !

Quelle place souhaitez-vous pour les femmes dans les sports et dans les sciences ?

En un mot : la même que celle offerte aux hommes ! Et nous n’y sommes pas encore. Cela passe par les mêmes conditions d’accès, de traitement et de reconnaissance. Mais la question de la place est intéressante : qu’est-ce que ça veut dire “avoir la même place” ? On ne peut parler de “place égale” que si on objective les différents indicateurs de cette place. Et pour ça, il faut absolument produire de la donnée, faire des états des lieux sur la place des femmes dans le mouvement sportif et à partir de là, rendre visibles et objectivables les inégalités à l'œuvre.

À ce titre, je constate des dynamiques vertueuses, par exemple du côté de la Fédération Française d’aviron, qui s’engage dans des projets ambitieux d’analyse quantitative et qualitative de la situation des femmes. Ils travaillent leur communication pour rendre visible les sportives et mettent en place des communautés de pratique pour favoriser l’engagement des femmes à tous les niveaux. Cette politique fédérale est très intéressante et portera sûrement ses fruits dans le temps à condition qu’elle soit durable. N’oublions pas non plus ce qui s’est passé dans le football depuis 2012. La place des licenciées est passée de 2 à 9%, ce qui représente plus de 200 000 footballeuses, un chiffre comparable au nombre de licenciées au handball ou au basket et supérieur à celui des athlètes femmes. Et cela grâce à une politique de féminisation sans précédent sous la direction de Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF.

Quel sport avez-vous envie de suivre aux JO et quelle discipline scientifique aimeriez-vous découvrir pendant la Fête de la science ?

Pour les sciences, je vais m’intéresser aux sciences sociales bien sûr ! Du côté des JO, je serai attentive aux nouvelles disciplines, comme l’escalade, le surf, le skateboard ou la breakdance, ainsi qu’aux pratiques en mixité [ndlr : parmi les nouvelles pratiques en mixité lors des JO de Paris : la marche, le kitesurf, le tir…].

Quelles sont les nuances entre mixité, parité, égalité ?

Beaucoup de gens pensent que ces mots veulent dire la même chose (ou presque), alors qu’ils sont différents.

Les pratiques en mixité partent souvent d’une bonne intention : les femmes et les hommes sont placés sur le même espace et la même temporalité de pratique. Médiatiquement, on peut penser que cette mixité offrira la même valorisation des athlètes. Mais la réalité peut être un peu différente… La recherche l’a bien montré à propos des cours d’EPS des années 1980/1990 lorsque le principe de mixité scolaire s’est imposé : ce n’est pas parce qu’on met ensemble des filles et des garçons dans un même espace qu’ils sont traités et considérés à égalité. Les uns et les autres sont toujours sujets à des stéréotypes. Les garçons continuent à occuper l’espace physique et sonore. Les filles sont toujours discriminées et/ou stigmatisées, surtout si l’enseignant·e n’est pas vigilant·e.

Ainsi, la mixité est nécessaire mais pas suffisante pour accéder à l’égalité.

Pour cela, il faut être conscient des processus à l'œuvre et savoir les corriger. Je me questionne donc sur les pratiques mixtes qui arrivent aux JO [en athlétisme, voile et tir, ndlr]. Cela relève d’une « bonne intention », il faut rester vigilant·e aux processus de différenciation des rôles entre les hommes et les femmes, comme on l'a vu dans les jeux de double au tennis ou au badminton. Par ailleurs, si c’est pour renvoyer à nouveau les femmes à leur esthétique ou à leur maternité, l’égalité n’aura sans doute pas gagné grand-chose.

Pour la première fois en 2024, les JO seront paritaires. Il y aura autant d’athlètes hommes que de femmes. Est-ce que cela veut dire que les jeux seront égalitaires ? Non, car si l’on regarde du côté des équipes techniques, médicales, des entraîneurs, des dirigeants, des responsables de délégations, il y a une minorité de femmes.

En résumé, on peut être en mixité sans être à parité et annoncer être à parité sans être vraiment à égalité. L'égalité ne s'improvise pas, elle s'apprend … et à Lyon, notamment, nous avons avec Egal’APS, le seul master universitaire qui travaille sur les questions du genre dans le sport. N’hésitez pas à consulter notre site internet !


 

Propos recueillis par Marion Sabourdy, Coordinatrice départementale de la Fête de la science pour l’Isère.

 

 

Cecile Ottogalli-Mazacavallo
COM
Transcription textuelle
Transcription textuelle

 


(00:09) la fête de la science c'est d'abord une ouverture de nos laboratoires de de recherche et donc un moment de partage donc c'est un moment important dans je crois dans la la dynamique universitaire et puis c'est aussi une fête une fête du savoir une fête de la raison peut-être pour prendre un peu le dessus sur l'émotion et donc voilà de de d'un avir raisonner mon travail pour reprendre une expression d'une historienne qui s'appelle Michel Perot c'est de rendre visible les oubliés de l'histoire et
(00:48) plus particulièrement dans mon champ de rendre visibles les Oubliés etes du sport c'est-à-dire les femmes des femmes qui sont à l'échelle du 20e siècle et encore aujourd'hui malheureusement sous représent dans les pratiques sportives mais aussi sous représenté d'un point de vue médiatique et donc tout mon travail porte à analyser produire de la donnée sur la situation des femmes dans le mouvement sportif et d'essayer d'objectiver les inégalités d'accès de reconnaissance et de traitement dont
(01:18) elles peuvent être l'objet tout le 20e siècle et encore aujourd'hui oui petite anecdote au début de ma de ma recherche où plusieurs historiens m'ont dit que je trouverais rien sur les femmes alpinistes et puis au bout de 3 ans j'avais déjà écrit plus de 500 pages donc elles étaient bien là il fallait juste avoir la bonne question et les bonnes lunettes pour les chercher